« Elle (Velma) m’a quittée comme on quitte une chambre d’hôtel.
Une chambre d’hôtel est un endroit où l’on va quand on fait quelque chose d’autre. En elle-même, elle n’est d’aucune conséquence sur le sujet principal. Une chambre d’hôtel est commode. Mais ce qu’elle a de commode est limité au temps dont on a besoin d’elle, pendant qu’on est dans cette ville particulière; on l’espère confortable mais on la préfère plutôt anonyme.
Après tout, ce n’est pas là qu’on vit.
Quand on n’a plus besoin d’elle, on paie pour l’avoir utilisée; on dit « merci, monsieur », et quand ce qu’on avait à faire dans cette ville est terminée, on quitte la chambre.
Est-ce qu’on regrette de quitter une chambre d’hôtel ? Est-ce qu’on souhaite y rester quand on a une maison, une vraie maison quelque part ? Est-ce qu’on se retourne avec affection, ou même dégoût, vers une chambre d’hôtel quand on la quitte ? On peut aimer ou mépriser ce qu’on a vécu dans cette chambre. Mais la chambre elle-même ? On en garde pourtant un souvenir. On, oh non, pas pour se souvenir de la chambre. Pour se souvenir plutôt du moment et du lieu, de ce qu’on a fait, de son aventure.
Que peut-on éprouver pour une chambre d’hôtel ?
On n’éprouve rien de plus pour une chambre d’hôtel qu’on ne s’attend à ce qu’une chambre d’hôtel éprouve pour son occupant.
Ce fut ainsi (…) qu’elle me quitta; ou plus exactement, elle ne me quitta jamais parce qu’elle ne fut jamais là. «
Toni MORRISON, L’oeil le plus bleu